Article invité proposé par Cyriaque Malet (biographie en bas de page)
Qu’est-ce qui rend les solos de Scott Henderson ou de Robben Ford si riches quand ils jouent un blues ? Comment un guitariste de fusion comme Tom Quayle arrive-t-il à jouer ce qui semble être du rock tout en “sonnant jazz” ? Comment un guitariste de metal comme Tosin Abasi fait-il pour sonner si différent de tous les autres ?
Que vous fassiez du rock, du blues, du metal ou de la fusion, il y a une couleur qui est difficile à définir mais que tous ces guitaristes fabuleux (et tant d’autres) ajoutent à leurs solos pour les enrichir : celle du jazz !
Niveau de cet article :
Faisons le point
Vous connaissez sûrement déjà la gamme pentatonique. Peut être que vous avez toutes les positions de la gamme majeure sous les doigts. Peut être que vous commencez à expérimenter avec les arpèges majeur 7, mineur 7 et dominante. Peut être même que vous tentez d’intégrer des chromatismes dans vos improvisations.
Mais voilà il manque un truc : ça ne sonne pas vraiment. Il manque un petit “quelque chose”, un “je-ne-sais-quoi” comme nous disait Pascal dans ses Pensées.
Je me rappelle très bien le moment où j’ai découvert cet élément qui a véritablement enrichi mes solos : la gamme mineure mélodique.
1. La gamme mineure mélodique : les éléments indispensables pour comprendre
Comprendre toutes les implications théoriques, c’est super, mais en fait, souvent on s’y perd et on préfère ne plus jamais s’y replonger. Je suis partisan de l’approche 20/80 : comprendre les 20% de l’information qui vont m’apporter 80% des résultats.
Ici je vous présenterai vraiment ce qui va vous apporter des résultats. Je vous propose de lire ce qui suit et si vous ne comprenez pas tout, ce n’est pas très grave. Vous allez pouvoir compléter ces informations plus tard dans un ouvrage d’harmonie.
Comprendre tous ces éléments ne fera pas de vous un meilleur improvisateur. Cela va juste vous donner un contexte dans lequel vous allez pouvoir aborder le reste. Pour que “la théorie reste un plaisir”, je crois qu’il faut y aller doucement et accepter de ne pas comprendre tout, tout de suite.
Qu’est-ce que la gamme mineure mélodique ?
Tout d’abord, il faut savoir qu’il existe plusieurs types de gammes mineures.
La gamme mineure naturelle (ou mode aéolien)
Pour résumer, elle est le pendant mineur de la gamme majeure, que l’on peut comprendre de cette façon :
T – 2 – b3 – 4 – 5 – b6 – b7
Ou si vous préférez :
ton, demi ton, ton, ton, demi ton, ton, ton
En voici une représentation visuelle (extraite des planches Structure et motifs des principales gammes) :
En La mineur (A min), cela donne :
A – B – C – D – E – F – G
c’est à dire les mêmes notes que celle de Do Majeur (C) (c’est pour cela qu’on l’appelle la gamme mineure relative également).
N.B. : Voici un tableau résumant les couleurs utilisées pour représenter les intervalles :
Vous pouvez constater que certains intervalles peuvent avoir des couleurs “synonymes”. Ainsi, par exemple, l’intervalle de seconde augmentée (2+) vaut 1 ton 1/2, tout comme la tierce mineure (3-). Normal, puisque ces notes sont situées au même intervalle de 1 ton 1/2 par rapport à la tonique !
La dernière ligne montre les redoublements à l’octave des intervalles de base (on parle aussi d’embellissements). Par exemple, l’intervalle de neuvième est exactement la même note que l’intervalle de seconde, mais une octave au-dessus.
Pour en savoir plus sur les couleurs que nous utilisons, reportez-vous à l’ebook gratuit Présentation des deux systèmes de couleurs.
La gamme mineure harmonique
C’est une gamme qui va sonner un peu “orientale”. En réalité, elle a été formalisée pour répondre à un besoin “harmonique” : en effet elle permet de renforcer la tension du degré V dans une suite d’accords.
T – 2 – b3 – 4 – 5 – b6 – 7
La représentation visuelle :
La mineur harmonique donne donc :
A – B – C – D – E – F – G#
Enfin la gamme mineure mélodique !
(il y a d’autres gammes : dorien, phrygien, etc… mais pour l’instant comprendre ces 3 gammes est très largement suffisant)
La gamme suivra ce schéma :
T – 2 – b3 – 4 – 5 – 6 – 7
La représentation visuelle :
La mineur mélodique donne donc :
A – B – C – D – E – F# – G#
La façon la plus simple d’envisager la gamme mineure mélodique c’est d’y voir une gamme majeure avec une tierce mineure.
Cela saute aux yeux quand on compare les deux schémas :
2. Obtenir cette couleur jazz sur une cadence II V I
La cadence II V I est la cadence iconique du jazz.
Elle correspond à (en Do majeur) : Ré mineur7 (IIème degré de C), Sol 7 (Vème degré), Do maj7 (Ier degré).
Si vous ne faites pas du jazz (mais que vous voulez quand même avoir cette couleur dans vos solos), sachez que cette cadence est très proche du IV V I qu’on retrouve dans le classique, la variété, la pop (exemple Stand by me).
En Do majeur, cela correspondra à Fa Majeur, Sol Majeur et Do Majeur. Par ailleurs, vous pouvez essayer ces concepts sur des accords statiques aussi (Ré min7 ou Sol 7).
Voici la stratégie que je vous invite à essayer :
- Sur Ré mineur7 et Do majeur, vous jouerez la gamme de Do (sur Ré, ce sera Ré dorien, mais ce sont exactement les mêmes notes que Do majeur).
- Sur Sol 7, vous jouerez La bémol mineur mélodique, appelée également gamme altérée.
Pourquoi La bémol mineur mélodique ?
La bémol mineur mélodique contient les notes suivantes :
Ab – Bb – Cb (ou B) – Db – Eb – F – G
Par rapport à Sol 7, cela correspondra à
b9 – b3 – b11 – b5 – b13 – b7 – T
Toutes ces notes particulières vont donner la couleur jazz.
Vous ne voyez pas clairement d’où vient cette correspondance ? Les deux tableaux ci-dessous devraient vous aider…
D’abord, un premier tableau permettant de comparer les structures des deux gammes :
- La ligne 1 correspond à la valeur des intervalles en 1/2 tons à partir de la tonique (la note qui définit la tonalité). Chaque colonne vaut 1/2 ton.
- Les lignes 2 à 4 représentent le nom et la couleur de ces intervalles et de leur redoublement à l’octave.
- La ligne “Gamme majeure” indique les degrés de la gamme majeure, avec dessous l’exemple en G.
- La ligne “Gamme mineure mélodique” indique les degrés de cette gamme, avec dessous l’exemple en Abm.
Pour mieux visualiser la correspondance énoncée ci-dessus entre les degrés des deux gammes G et Abm, il suffit de décaler les notes pour que les G se retrouvent dans la même colonne :
- Ligne 1 : récapitule les lignes 2 à 4 du tableau précédent.
- Ligne 2 : les notes de la gamme de G majeur
- Ligne 3 : les notes de la gamme de Abm mélodique, mais commençant à partir de G
- Ligne 4 : les degrés de la gamme de G majeur correspondants
Si ces notes vous paraissent trop “bizarres”, dites vous que c’est comme rajouter une scène d’action ou de tension insoutenable dans un film à suspens. Le tout est d’attirer l’attention des oreilles de vos auditeurs et de résoudre cette tension en résolvant avec une note très “in”, comme une note de l’accord de résolution (en C, ça donnera, C E G, par exemple).
Voici une astuce pour vous aider à utiliser cette gamme : essayez de résoudre vers une note de l’accord de Do (soit C, E, G, B). La résolution par demi ton est très efficace comme les montrent les exemples b et c :
Voilà déjà une première “arme” pour sonner jazz : utiliser la gamme altérée pour créer de la tension.
Astuce supplémentaire : Pour appliquer cette technique le plus possible (avec modération quand même !), vous pouvez prendre tout simplement le Vème degré de n’importe quel accord et jouer la gamme altérée correspondante. Ainsi sur le Dmin7, je peux jouer A7 altéré (donc Bb mineur mélodique).
Ce qui créera cette cadence : A7 Dmin7 / G7 / C
À ce stade, vous avez déjà compris l’essentiel. Le tout est de jouer des phrases mélodiques, créer de la tension et surtout de résoudre. Si vous savez utiliser cette “arme” de la gamme altérée, vos solos auront déjà une couleur jazz.
3. Aller plus loin
Une fois que vous avez bien intégré cette gamme, je vous propose d’aller plus loin :
Utiliser une gamme mineure mélodique différente sur chaque accord du II V I !
Reprenons notre cadence II V I : Dmin 7, G7, CMaj7.
Je vous propose d’utiliser :
- Ré mineur mélodique sur Dmin7 soit D E F G A B C#
- Sol altéré sur Sol
- Do lydien #5 (3ème mode du mineur mélodique de A mineur) sur C Maj7 soit C D E F# G# A B
Dans ce cas, il va falloir faire preuve de dosage et de bon goût. Inutile de jouer les 3 gammes à chaque fois et systématiquement ! Vous pouvez expérimenter avec Do lydien #5 sur l’accord de C, et jouer la gamme de Do majeur sur tous les autres accords. Vous pouvez jouer Ré min mélodique et Sol altéré et résoudre en Do majeur, etc.
Astuce supplémentaire : Je n’en ai pas parlé pour l’instant, mais bien évidemment que vous pouvez jouer les arpèges de ces accords et les mixer aux notes du mineur mélodique. Votre jeu n’en sera que plus riche.
Important : Vous allez aussi essayer d’utiliser ces notes clés des gammes comme des notes de passage, plutôt que des notes de résolution. Effectivement si vous jouer Do dièse sur Ré mineur, vous allez avoir un intervalle très dissonant (une bémol 9), assez impardonnable sur un accord mineur si vous restez trop longtemps sur la note !
Idem pour la 5# sur C majeur, le Sol# va créer une note très dissonante avec le Sol.
Il ne vous reste plus qu’une chose à faire : expérimenter.
Vous voilà donc équipé pour donner de nouvelles couleurs à vos solos. Si ça ne sonne pas tout de suite, alors c’est un bon signe, c’est que vous vous familiarisez avec ces nouvelles couleurs.
Il y a encore beaucoup à faire et à dire pour avoir cette couleur dans vos solos (les triades, la gamme diminuée, etc), mais cela constitue déjà un excellent point de départ.
Je vais terminer avec quelques suggestions :
- Si vous n’avez pas compris un concept dans l’article : ce n’est pas grave, essayez d’appliquer aujourd’hui, au moins une chose. C’est un concept essentiel qui peut changer votre approche de la guitare.
- N’oubliez pas que ces gammes et diagrammes ne sont qu’un début, il faut beaucoup de travail et de temps pour assimiler ces concepts. Je vous conseille donc d’improviser un maximum avec ces gammes et de retenir vos meilleures idées. N’hésitez pas à écrire des phrases aussi. Développez votre propre langage et mettez en avant les couleurs qui vous plaisent le plus.
- Relever des phrases de solos et repérer comment la gamme mineure mélodique est utilisée.
- Si vous avez envie d’aller encore plus loin, voici un très bon ouvrage sur l’utilisation de la gamme mineure mélodique d’un point de vue guitaristique : Melodic Minor: Revealed de Don Mock.
Si vous avez des questions n’hésitez pas à me contacter via mon blog Maitriser-la-guitare.com ou dans les commentaires ! Bonne pratique à tous !
Après un master en philosophie politique à la Sorbonne, je m’oriente – en toute logique – vers la guitare jazz. En 2006-7, un prof me conseille d’arrêter la guitare après un exercice complètement raté au métronome. Je m’obstine et je m’inscris à l’American School of Modern Music puis à l’EDIM. Je prends des cours avec Romain Pilon, Eric Schultz, et Bernard Vidal, puis à New York, avec Lage Lund, Mike Moreno et Gilad Hekselman.
J’enseigne aujourd’hui la guitare à Boulogne-Billancourt et à travers mon blog : http://maitriser-la-guitare.com. Suivez moi également sur Facebook et Twitter.
Excellent article, grand merci ! Cela me rappelle d’ailleurs les gammes de Barry Harris (qui enseigne merveilleusement la musique ainsi, en parlant des deux gammes relatives mineures d’un accord de dominante: accord ou gamme de C7 / gamme de C#min 6 et gamme de Gmin 6 !!!) Vive la bonne théorie !
J’ai lu avec intérêt cet article. J’ applique pour ma part un autre truc à savoir celui de substituer un accord m7/5b à un accord de dominante ( Cm7/5b pour Ab7) soit en utilisant l’arpège de cet accord soit le mode altéré de do. L’accord m7/5b est issu de l’harmonisation de la gamme mineure mélodique dont est issu le mode altéré. Autre truc qui consiste à jouer le mode altéré en partant de la tierce (majeure) d’un accord de degré V cela permet de rester toujours en position. Bien cordialement.
Patrice